Il est tard
Et comme souvent quand il est tard, j’ai envie de mourir.
C’est étrange. Terriblement étrange. Voilà des heures que je me tourne et me retourne, espérant qu’une position m’apporte plus facilement le sommeil, comme si j’allais le trouver comme par magie sous mon oreiller. Alors on s’occupe, on prend son téléphone et on se remplit la tête. De lumière déjà et puis surtout d’idées, pour oublier celles qui se sont déjà installées. Je souffre, je le réalise, qu’est-ce que je peux faire alors ?
À cette personne qui s’inquiète.
Je réfléchis et j’hésite, je m’imagine vider mon sac, envoyer un message où le bon sens s’est quant à lui endormi d’un sommeil éternel pour enfin dire ce qui me coure chaque jour dans l’esprit. Ou plutôt redire, mais différemment. Je t’aime. Je te déteste. Tu me manques. Je veux t’oublier. Je veux mourir. Cette conclusion, désormais fade. Alors je l’imagine. Cette mort douce, affectueuse. Elle me réconforte, je l’imagine de mille façon. De l’apaisement, pour enfin m’assoupir.
Avant de sursauter à nouveau ; un murmure, une silhouette, une odeur vaporeuse. Tu es là, dans ma tête, comme toujours. Face à toi la mort est douce, une libération. Cette anxiété, avec laquelle je suis ce soir tenté de jouer intelligemment pour lui donner forme. Elle a un visage. Un sourire qui dévoile de petites dents et de belles gencives. Deux yeux en amandes. Des sourcils en bataille. Des défauts. C’est bien elle, l’anxiété, ce soir déguisée comme souvent en échec. Mais qu’importe. J’entends de la musique. C’est Trop Beau. Quel hasard. Celle-là même qui m’a plongé dans ce désespoir quotidien, mais grâce à elle la vanne s’ouvre. Les émotions coulent et je ne sais pas comment ni pourquoi mais cette nuit à la différence des autres nuits, je me lève.
Je ne marche que quelques instants ce qui me paraît être une éternité. Les idées défilent si vite que je les oublie avant même d’être arrivé à destination. J’ai envie d’hurler. D’appeler à l’aide. Si ce que j’ai envie de te dire ne peut pas m’aider à m’en sortir, à qui puis-je le dire ? Y a-t-il le moindre intérêt à ce que cette détresse je l’adresse à mes proches qui sont à présents endormis et qui, à leur réveil, se trouveront à nouveau désemparés face à mon désespoir ? Puis-je sinon m’adresser à cette personne avec qui j’œuvre pour construire ce que j’ai perdu ? Sorte de coup de poker, si cette nuit je peux recevoir une main tendue alors j’aurai gagné. Or comme souvent mon esprit me joue des tours et gagner revient à répéter mes erreurs. À me perdre encore.
Après tout, à quoi bon ? On passe notre vie à courir après le bonheur, certains le noient sous leur ignorance alors que d’autres essaient de l’oublier. De tous nos efforts quotidiens je n’entrevois qu’un échec perpétuel. Il est inutile de s’aimer parce qu’au bout du chemin nous attend la souffrance. Il est inutile de laisser errer chaque soir notre esprit dans l’espoir d’y trouver une clé. Je suis parfois étonné de constater que bien des gens ont des histoires emplies de souffrance à raconter. Je me surprends à tisser avec eux des liens étranges autour de ce vécu et je les vois essayer de se construire un lendemain meilleur. Pour certains, c’est une meilleure situation professionnelle, pour d’autres une meilleure confiance en soi et pour la plupart c’est une relation qui ait du sens. Sorte d’objectif à atteindre pour espérer trouver enfin le bonheur. Pourtant, si nous en sommes là aujourd’hui à espérer devenir heureux, n’est-ce pas justement parce que l’on a cru que le bonheur existait ?
Je sais bien que si quelqu’un pouvait me parler, on me dirait simplement de me détendre, de me servir un bon verre d’eau et de me rassasier de cette petite pilule blanche qui, parait-il, rend heureux. Je le ferai sûrement et je passerai sûrement une très bonne nuit. Rincer, répéter. Ce qui de façon concrète n’est qu’un mauvais moment paraît être une éternelle répétition de souffrances menant encore et toujours à la mort. Mais tout ça, on le sait déjà.
Ce qui me surprend, c’est ce qu’il s’est passé en moi quand l’idée de me saisir d’un clavier m’a traversé l’esprit. Ça a d’abord été une résignation, je me suis imaginé prostré en train d’écrire et je me suis simplement dit que ce ne serait pas pire qu’autre chose. Et pourtant, je m’installe, je réfléchis un instant. Je vois une Opale qui me fixe de ses deux petites billes noires curieuses et assoupies. Je me contente de la caresser délicatement. Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais elle dort profondément quand je me décide finalement à reprendre ce que je n’ai même pas commencé.
Je ne l’avais pas vue, je ne l’avais pas sentie mais à nouveau mêlée à mes émotions l’inspiration est là. Je me sens poète, je me sens puissant et me voilà qui tape mes premières lettres. Je sais que les mots qui suivront ne sauront révéler la valeur de cette inspiration à laquelle j’ai envie de rendre gloire mais qu’importe car si cette nuit je l’écoute, peut-être demain pourrai-je mieux la comprendre. Les voilà, les premiers mots. Ils me soulagent, bien que je ne veuille pas l’admettre.
Il est tard. Et comme souvent quand il est tard, j’ai envie d’écrire…