L’Amour comme un dégoût

2020-08-29
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Cette fois-ci pas de drame, pas d’altercation mais un simple déclic ; un non-événement. De ceux qui se font de plus en plus rares, à mesure que la vie avance, me laissant parfois désœuvré et souvent absent. Comment expliquer ce sentiment de détachement quotidien et monotone ? Une voiture qui nous frôle au détour d’un trottoir, une remarque gênante au mauvais moment, une erreur honteuse ; mais nulle sensation. Pas un sursaut, pas un regard, pas une pensée, aussitôt oublié comme après un long rêve sûrement prenant. Et pourtant cette vie qui continue à s’écouler.

À cette personne qui a perdu la sensation.

Marc Aurèle écrit que seul le présent peut être perdu car il s’agit du seul que l’on a et pourtant j’ai l’impression que celui-ci ne m’a jamais appartenu. Cette fois-ci, ce n’est pas de la détresse, de la peur ou de la rage qui le remplace, simplement un rien. Un rien qui n’est ni froid ni effrayant, un rien qui n’est qu’existence, sans fioriture. Si j’ai par le passé ressenti un vide et une absence de sens, ces moments ; qui me semblent aujourd’hui n’être que des instants, pouvaient créer en moi des sensations et des émotions dures à décrire. Elles ne sont aujourd’hui même plus un fourmillement, même plus une pensée, elles ne sont plus rien. Tout comme le passé et le futur qui pourtant me semblaient si réels. Mon imagination s’en est allée.

Car oui, c’est aujourd’hui une évidence pour moi qui fût dure à formuler : mon imagination me dépasse. Cette imagination qui déjà très jeune m’aidait à trouver le sommeil ; on ferme les yeux et on s’imagine dans un monde meilleur, plus grand. C’était d’abord un monde remplit d’action, un monde où je courrais vite, un monde où j’étais fort, un monde héroïque. Un monde d’enfant. Puis ce monde et l’enfant qui l’imaginait ont grandi. Il s’est rapproché du réel. Il ne s’agissait plus de mettre en place un univers fantastique mais plutôt de dévier du quotidien, partir de souvenirs mêmes fugaces et les embellir, les rendre plus agréables. Peut-être est-ce là que cette imagination a commencé à me jouer des tours. Comment celle qui me procurait des frissons tout juste sorti du berceau aurait-elle pu me laisser indifférent au moment de me remémorer des souvenirs bons et mauvais ?

Ainsi, par l’œuvre de mon esprit, je me suis retrouvé enfermé dans une répétition éternelle d’un moment difficile ou bien épanoui dans une réalité alternative où plus rien ne pouvait me causer de torts. Inévitablement, ces phases ont débordé dans le présent, s’y mêlant parfois, transformant la réalité, les émotions, les relations et le quotidien. Comment différencier le réel de l’imaginaire quand ce dernier est capable de créer des sensations équivalentes voire plus intenses, quand il est capable de générer des émotions qui ne trouvent nulle source dans la réalité ?

Quand mon esprit divague, ma réalité prend forme. Celle où je suis toujours dans le juste, celle où seuls les autres me causent des torts, où rien n’est grave ou définitif. J’ai plaisir à me moquer de la mort, à la considérer avec légèreté quand bien même elle devrait m’affecter ou me laisser indifférent. Je reste persuadé que cette vision profane est essentielle pour ne pas craindre la fin mais je ne peux m’empêcher de constater que je ne suis pas objectif ; je ne crains pas la mort car je n’ai pas d’attache à la vie. En partant de ce constat, il m’est difficile de ne pas considérer que ce mécanisme trouve racine dans l’emprise que peut avoir mon imagination sur le réel.

Cette prise de conscience ne m’empêche guère de me complaire dans mon rien quotidien. Celui créé par accoutumance à force de trop imaginer, ce rien qui a grandi quotidiennement jusqu’à me faire vivre ma vie comme mes rêves : avec détachement. Ce qui est d’autant plus flagrant que je suis à présent incapable de ressentir la tristesse, qui m’est pourtant caractéristique, qui devrait m’accompagner dans cette perte de sens. Toujours est-il que mon monde a grandi. Un jour alimenté par l’amour que je ressentais dans mon quotidien, puis soudainement hanté par le désespoir. Un désespoir qui nous fait haïr la vie, qui nous fait souhaiter sa disparition et qui enfin nous dégoûte de ce que l’on a un jour chéri. Les sentiments, l’attachement, l’amour, la passion, ce ne sont à présent plus que des mots vaguement familiers, qui me rappellent parfois mon passé mais qui n’incarnent plus rien dans mon présent perdu.

Qu’il est difficile de se faire comprendre dans un monde où la force des liens sociaux est au centre de toute chose, dans un monde où une nouvelle triste doit créer de la tristesse et où une nouvelle joyeuse doit créer de la joie. Comment expliquer à nos proches qu’on ne tient pas spécialement à eux mais que tout va bien ? Comment expliquer cette dissonance lorsque l’on qualifie quelqu’un de plus grand ami alors qu’on ne ressent nul besoin que cette personne soit là dans notre vie ; vie sur laquelle tout glisse sans réelle conséquence ? Il s’agit bien de cette idée d’amour que je rejette face à la futilité des liens qui m’entourent. Non que les gens avec qui je les partage ne soient pas prêts à sacrifier d’eux-mêmes pour mon présent mais plutôt que ces interactions ne créent en moi aucun plaisir, fût-il sincère ou égoïste.

Pango

L'auteur de pensées