L’épanouissement
Parfois, j’observe les gens. C’est rare, trop rare je pense ; mais voilà, il m’arrive de juste ne rien faire et essayer de comprendre. Je m’étonne. Mais que trouvent-ils de si préoccupant dans leur vie pour avoir quelque chose à faire là maintenant ?
À cette personne qui veut vivre.
Je comprends bien où ce questionnement trouve sa source, mon quotidien bien que remplit me semble futile, dénué de sens et d’intérêt. J’enchaîne des tâches dont certaines démotiveraient même les plus courageux et je vais au bout pour la simple et bonne raison que je m’en suis donné l’instruction. Je n’en tire pas de plaisir, pas vraiment de satisfaction et me voilà déjà à réfléchir à la tâche suivante, le tout entrecoupé de longues heures de procrastination.
S’il y a bien une chose dont j’ai perdu la capacité c’est de réfléchir au lendemain. Des gens à voir ? Des courses à faire ? Des vacances à prendre ? Tout sera exécuté sur l’instant, pas de planification, seulement des coups de tête, comme pour me forcer. Alors peut-être que ce manque d’organisation contribue à entretenir ce vide étrange, cette absence de but. Il paraît que le cerveau tire beaucoup de plaisir dans l’anticipation. Mais je ne peux pas me mentir très longtemps. Ne pas avoir de but, ne pas avoir d’envie, toutes ces choses je sais qu’elles sont là parce que je ne suis pas heureux, sûrement dépressif.
Cet état remonte à si longtemps, j’ai perdu le fil. Puis je me demande, qu’est-ce qui est venu en premier, l’œuf ou la poule ? Pour être heureux, est-ce que je dois me trouver un but ou est-ce que je dois être heureux pour me trouver un but ? Comment puis-je me satisfaire de cette vie pourtant parfaite qu’est la mienne ? Je sais ce que “j’aime”. Ce qui est étrange, c’est que ce sentiment m’est accessible par phase. Dans mes pires phases, je n’aime rien, sauf la mort. Dans les meilleures, j’aimerai presque la vie, j’ai envie de découvrir, d’aller plus loin, de m’épanouir. Et puis entre ces deux extrêmes il va y avoir des petits flottements où je n’aime que perdre mon temps à procrastiner ou bien de meilleurs moments où je trouverai la motivation de faire du sport, de la cuisine ou des choses qui normalement sont contraignantes.
Je sais que la solution de facilité c’est de vivre pour quelqu’un d’autre. Je m’y suis essayé quelques années mais le résultat aura été quelque peu mitigé. Parfois quand je ferme les yeux, j’ai la sensation de pouvoir devenir si facilement cet adulte fort et responsable que j’imagine. Cette flegme qui désormais rythme mon quotidien, me rendant incapable de me décevoir ou de me satisfaire de mes actes, je ne sais comment m’en débarrasser. Comment dois-je faire pour me sentir concerné par mon quotidien ? Parfois je fais bêtement des listes, je me fixe des petits objectifs comme si faire appel à mon bon sens ne suffisait plus.
Dans mon quotidien, il y a aussi des gens. Ils se retrouvent de fait victime de mon incapacité à me prendre en main. Mes collègues qui chaque jour se déçoivent de mon manque d’implication, ma famille qui sans nouvelle pendant des semaines ne peut que se sentir oubliée, mes amis qui ont abandonné l’idée de me revoir et ces personnes qui me font confiance et qui s’imaginent sûrement vivre des choses épanouissantes à mes côtés. Comment tous ces gens peuvent-ils ne pas souffrir de ce qui aujourd’hui me handicape ?
À quoi bon se penser capable de tout quand on ne fait rien. Ni activité physique, ni réflexion, ni enrichissement personnel ; le néant. Je l’ai déjà dit mais parfois ce goût de l’effort me revient, momentanément, souvent accompagné d’émotions intenses. Comment avoir plus de contrôle dessus ? Comment le maintenir sur la durée ? Alors quand j’observe ces gens dans la rue, parfois bénévoles, parfois sportifs, parfois entourés, souvent heureux, je me questionne, comment font-ils ? Si je leur demandais “aimez-vous la vie ?”, ils me répondraient sûrement “oui“, même si beaucoup admettraient volontiers que le monde tel qu’il est aujourd’hui ne leur convient pas. Leur vie par contre, elle leur plaît.
Ont-ils eu besoin de passer par ces questionnements ? Que trouvent-ils en eux pour se motiver et s’épanouir ? Ne pas penser semble être la réponse facile, pour ma part je sais que ne plus penser équivaut à ne plus essayer, ce serait m’enfermer dans une routine décevante qui n’attendrait qu’un mauvais pas pour exploser. Parfois quand je ferme les yeux, je me vois aspirer à quelque chose, à puiser en moi une force qui me permette d’avancer. Peut-être existe-t-elle. Il me suffit alors de trouver un outil pour la puiser. Un outil qui m’appartienne, à moi et à moi seul.