Le silence et la frustration

2020-10-17
4 min de lecture

Dans la vie on a finalement du contrôle sur bien peu de choses. Parmi celles-ci, il y a les autres, leur disponibilité, leurs souhaits, leur compréhension. Peut-être est-ce lié à mon imagination, à mes propres désirs ou que sais-je, mais voilà que bien souvent je me retrouve à espérer pouvoir partager. Pas n’importe quoi cependant, pas du simple temps ni du divertissement ; des choses plus profondes.

À cette personne que j’aime.

Tout d’abord, il y a une ambiance. Une heure tardive, une fatigue légère et une ivresse plus mentale que physique. Ces moments où même lorsque l’on ferme les yeux, on sourit. Il n’y a pourtant nulle anticipation, pas de plaisir à vivre quelque chose de stimulant, pas de pulsion à assouvir ; juste un plaisir présent, doux et simple. Il y a quelque chose d’inexplicable à ce moment précis et il s’agit là d’une question pour plus tard, un “quand j’y repense, c’est vrai que c’était bien”. C’en est devenu si rare, ne pas avoir l’impression de perdre son temps, de perdre sa vie, de savoir que la vie nous a mené à ce moment précis et de se moquer du pourquoi ou du comment. Il ne s’agit pas non plus de vivre quelque chose à raconter, personne ne trépigne, il n’y a point de lumière scintillante et colorée. Ce n’est pas un parc d’attraction remplit d’enfant et de joie, juste une pièce pleine d’une obscurité chaleureuse.

Parfois l’esprit s’égare, on goûte le silence, on remarque une respiration et on ressent surtout un plaisir mutuel à être là, maintenant, sans rien d’autre. Bien sûr, ce silence est interrompu par quelques discussions, rien qui ne puisse changer le monde mais elles nous poussent à se comprendre, à s’écouter, à s’apprécier. À l’issue, nous n’aurons pas de quoi mettre fin à la guerre ou aux famines ; peut-être que nul ne se rappellera des paroles qui ont été prononcées. Cependant, il persistera ce sentiment indescriptible d’avoir partagé bien plus que des mots ; même si l’affection et son expression est agréable, il existe des choses qu’aucune intimité physique ne saurait égaler.

Ma perception n’est pas universelle j’en ai conscience mais j’éprouve beaucoup de peine pour ce monde qui valorise tant les relations physiques, comme si elles étaient la quintessence de l’amour. Ce même amour qui exclut par défaut ceux dont les attentes et les envies diffèrent de la norme. Qu’il est dur d’aimer et d’être aimé quand tout est affaire de compromis, de sacrifice équivalent ; de bonnes intentions empruntes d’intérêt. On recherche cette chose qui nous donnerait raison d’exister, ce lien fort et complice qui va au-delà de l’amitié, au-delà de l’amour, au-delà de la réalité. Comme une chimère, on sent que ça existe mais il nous est impossible de le formuler totalement. La réalité est là. Elle nous gave de ses faux semblants, de ses services “à charge de revanche”, de ses attentes irrationnelles.

Pour y échapper, on ferme les yeux. On recherche où se sont cachés nos plaisirs passés. Il y a cette ambiance, à nouveau. Cette douceur, irréelle. Oui, ça existe. Qui, quand, comment, toutes ces questions auxquelles nul ne peut répondre, alors en attendant on l’imagine. On projette nos pensées sur cette chimère devenue palpable, on lui avoue nos pensées les plus profondes, notre quête de sens ; elle acquiesce car elle comprend, elle se sent comme nous et enfin on se libère, on s’apaise. Pourvu que rien n’arrête ce moment.

Quand on ouvre les yeux, on a la sensation d’avoir vécu une vie en l’espace de quelques secondes. Rien ne l’explique. Peu à peu la réalité reprend son œuvre. Il n’y a point d’autre respiration à écouter que la nôtre. Plus le réel se matérialise et plus le dégoût se fait sentir, la gorge se noue, les mâchoires se serrent. On soupire, car il est enfin temps de se lever. On repense fugacement à ce qui pourrait être, on se frustre à constater ce qui est. Le silence revient ; cette carapace vitale. Et puis on se résout.

Un jour, peut-être.

Pango

L'auteur de pensées
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