Que suis-je ?
Que suis-je ? Question simple, que tout le monde a déjà abordée, avec plus ou moins de philosophie. Pour ma part, si je me la pose à cet instant c’est parce que j’ai l’impression de connaître la réponse et que j’espère ainsi ne pas l’oublier. L’écrire, pour mettre à plat mes réflexions et mes doutes. Bien sûr, je ne souhaite pas ici questionner mon existence, pas de méta-physique ni même de traits d’esprits car ce que je veux élaborer à présent est simplement la réalité de ma personne, ce sont mes fondations, mes valeurs, mes goûts et mes passions. Ce qui au quotidien définit ce que je suis et qui, par un sournois jeu de projection, tend à s’effacer quand je me trouve illuminé par des personnes dont l’esprit me séduit.
À mon lendemain.
Cela je le souhaite pour une raison bien précise, je me suis trop souvent vu trébucher en essayant d’atteindre cette flamme qui anime les autres, ignorant la mienne, l’éteignant même parfois avec bonne volonté. Comme si l’autre détenait derrière son sourire le secret du bonheur et qu’en l’imitant je parviendrai à mettre moi aussi la main dessus. Je ne vais cependant ni jeter la pierre sur l’autre et son influence, ni me moraliser. Ce phénomène, je le constate au passé comme au présent, je le constaterai encore au futur et plutôt que de serrer les dents et l’oublier quand vient le temps de revenir en moi, je vais faire ce travail de compréhension et d’acceptation ; on résiste mieux aux chutes dès lors que l’on sait qu’elles arrivent.
Tout d’abord, au travers de quel phénomène ai-je ressenti le besoin d’écrire ? Ça a été long, subtilement masqué par ma volonté. Cette pensée, je tente de la poser depuis longtemps déjà, j’ai interrogé ; moi-même et les autres, pour comprendre ce qui devrait en sortir. Malgré les pages que j’ai écrit et les semaines de réflexion, je ne m’en suis jamais trouvé satisfait. Puis j’ai compris ce qui, finalement, me bridait. En me relisant, j’ai perçu que j’avais oublié de commencer par l’essentiel, par la réalité dont je me suis promis de toujours faire part avec honnêteté. Cela a conditionné toute ma réflexion, se trouvant ici et là cambrée pour surtout ne pas faire face à cette simple vérité : j’ai rêvé de changer.
Quand je résume ce que j’étais hier, que je constate ce que je suis aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de voir l’autre. C’est un peu comme de visualiser une gigantesque carte sur laquelle notre esprit a mené une exploration, croisant ici et là des personnes, reprenant alors son chemin en suivant la direction qu’on a nous a si aimablement indiquée. Sorte de quête, sans but, sans finalité, profitant de l’impulsion offerte par les rencontres pour parcourir un monde toujours plus grand. C’est une image simple qui met en valeur un phénomène que j’ai considéré comme faisant partie intégrante de mon être depuis toujours. Si ces personnes se trouvent sur ma route c’est que nous partageons au moins l’envie d’être là à ce moment précis, si nous nous rencontrons, c’est aussi que des choses nous distinguent, voire nous opposent. Peut-être arrive-t-elle de l’Est lorsque moi-même je suis arrivé du Sud et me dirige vers l’Ouest ? Quelle importance, c’est ce qui peut résumer la plupart de mes relations : un savant mélange de points communs et de différences, une proximité relative de certaines valeurs et une distance essentielle pour les autres, une quête qui nous réunit aujourd’hui et nous séparera demain. La réalité est bien plus complexe mais l’idée est là, l’autre nous apportera tantôt équilibre, tantôt déséquilibre, créant les outils dont on a besoin pour continuer à évoluer, forme d’inspiration.
Ces outils sont-ils vraiment les nôtres ? Ces échanges prennent des formes difficiles à énumérer. Ça peut être un tic de langage, un point de vue, une connaissance, une émotion… Qu’ils soient positifs ou négatifs, ils seront leur héritage. Nous voilà donc à faire de nouvelles rencontres, usant de ce cadeau si imperceptible. À partir de quand cette chose deviendra-t-elle une partie de nous ? Quand nous oublierons qu’elle a appartenu à autrui ? L’avons-nous seulement remarqué ? Et cette nouvelle personne que nous rencontrons à présent, le voit-elle ? Il s’agit là de questions que je me pose inlassablement, depuis toujours, et desquelles j’aime avoir cette réflexion : nous ne sommes que le résultat de toutes les rencontres que nous avons fait jusqu’à ce jour. Elle crée une perspective qui permet de se détacher de soi, de prendre nos qualités et nos défauts puis de les replacer sur des lieux de cette immense carte. Certains de ces repères seront abandonnés pour permettre à d’autres de se développer. On atteint une forme de rationalité : puisque ce trait de caractère qui me pèse tant m’a été offert par cette personne que tous mes sens ont oublié, pourquoi m’y attacher ? On sépare notre égo de ce qui nous définit, le rendant plus relatif, plus acceptable, on devient malléable pour soi. L’analogie inverse fonctionne également, elle est même souvent au centre des valeurs de beaucoup de personnes qui se sont confiées à moi et je trouve ça beau de les voir nourrir ce à quoi la vie ne les prédisposait pas, simplement parce qu’elles ont un jour rencontré une autre personne qui a su leur insuffler, inconsciemment, cette envie.
De cette réflexion découle un constat peut-être difficile à souligner mais qui domine la perception que j’ai de moi-même : je suis influençable. C’est un fait, tout le monde l’est dans un contexte particulier. Si je le dis, c’est que je considère que je le suis à un point que parmi tout ce qui me définit, rien ne m’appartient réellement. Je ne parle bien sûr pas de cette influence qui peut nous pousser à commettre des petites fautes pour impressionner l’autre, non. Je doute aussi que l’on puisse exercer sur moi une influence volontaire sans que je ne la détecte. Par contre, si quelqu’un me montre quelque chose que j’apprécie, je serai tenté de le faire mien, pour le meilleur comme pour le pire, sans même parfois m’en rendre compte. Je mimerai, je tenterai de lui ressembler dans l’espoir de devenir tout aussi admirable, piochant chez lui ce qu’il y a de bon comme de mauvais. Cette réalité est aussi ce qui alimente au quotidien mes valeurs, je sais que j’ai vécu une majeure partie de ma vie dans le reniement de l’autre et de ce qu’il peut m’apporter, je sais aussi que j’ai un jour rencontré des gens en opposition totale avec cette position et bien que la vie nous ait éloignés pour toujours je conserve cette curiosité et empathie envers l’autre. Presque à l’excès, je refuse aujourd’hui de trahir ce à quoi ils ont consacré tant d’efforts.
Quel est le mal à ça ? Absolument rien. J’aime penser que l’autre maintient une influence sur nous et que de celle-ci nous évoluons, faisant nôtre une partie de ses qualités et de ses défauts, se mélangeant à tout ce qui était déjà présent, créant les bases de notre identité. Ce phénomène, je l’ai toujours défini consciemment, y trouvant finalement une forme de sens quant à mon rapport à l’autre. Pouvons-nous évoluer lorsque nous vivons seul au monde ? La réponse est pour moi évidente car il me suffit de regarder en arrière pour la trouver. La remise en question provient de l’autre et des échecs que nous ne souhaitons plus reproduire face à lui. Cette sensibilité à l’influence des autres est ce qui me permet de toujours me remettre en question, de facilement me détacher de ce qui ne me plaît pas chez moi, considérant que ce n’est que l’héritage d’un temps passé. Mon égo se définit par ce que j’ai décidé de garder en moi et mes choix évolueront à l’image des rencontres que je fais dans ma vie, telle est mon identité. C’est aussi ce qui, par effet de bord, me permet de si facilement me projeter dans l’autre, dans son ressenti et ses raisons pour finalement l’accepter tel qu’il est.
Ce cheminement d’idée semble mature, qu’est-ce qui alors m’a poussé à écrire ? Mes erreurs, je tente de les souligner par la sémantique : le changement est le résultat d’une longue et lente évolution. Alors, si en fermant les yeux, nous nous imaginons être devenus quelqu’un d’autre, que peut-il en résulter si ce n’est un profond déséquilibre pour qui l’imagination a tant d’emprises sur le réel ? Lorsque ce rêve commence à influer sur nos agissements, que nous reste-t-il alors ? Nous voilà tiraillés entre ce que nous aimerions être demain en nous réveillant et ce qui à présent nous définit, rappelant nos plus profondes insécurités. Cette impatience, c’est ce qui nous pousse à faire usage d’outils qu’on ne maîtrise pas réellement, à ignorer le chemin que l’autre a parcouru avant de nous rencontrer ; un excès de confiance et une forme de mépris pour les efforts que cela représente.
Des discussions que j’ai pu avoir, j’apprends que pour la plupart ce rêve ne sera finalement que ça, une envie de devenir quelque chose de différent, peut-être même quelque chose de mieux. Parfois, ce rêve les guidera effectivement vers cet objectif si difficile à définir. À l’opposé, en ouvrant les yeux, je serai devenu quelque chose de définitivement différent. Forme d’expérimentation, j’aurai incarné ce qui s’est montré à moi dans mes rêves, j’aurai changé. Est-ce vraiment possible ? Cette phrase, je l’ai entendue il y a des années de quelqu’un qui a su m’accompagner dans mes plus profondes remises en question : les gens ne changent pas, ils évoluent. C’est l’idée que j’ai développée jusqu’à maintenant, j’ai sûrement été influencé pour y croire, le fait est qu’elle trouve une place très confortable dans mon esprit. Comment expliquer alors que j’ai pu changer en me réveillant de mon rêve ? Parce que je m’y prends mal ? C’est ce que j’ai pensé pendant longtemps. Que je ne savais pas apprendre de l’autre, que j’étais trop intense, trop impatient, que ma volonté de contrôle n’était qu’une façade pour masquer le magma de mes émotions. Peu importe les raisons, je suis parti de ce constat, que je forçais le changement, et je l’ai accepté. Peut-être pas totalement mais j’ai aujourd’hui plus que jamais conscience de ce qu’il implique en moi.
Comme tout le monde, j’évolue, comme tout le monde, j’apprends des autres, et comme tout le monde, je le fais à ma façon. La mienne, c’est d’incarner ce que je veux devenir, forcer ce déséquilibre qui accompagne toute évolution, faire face aux peurs qui l’accompagnent pour me prouver que j’ai la force de les surmonter. Forme d’entêtement, expression de ma volonté un peu débordante qui parfois me pousse dans mes plus lointains retranchements. Je repense à toutes ces questions qui ont précédé cette prise de conscience : que suis-je ? Qu’est-ce que, dans mon quotidien, je fais pour plaire à l’autre ? Qu’est-ce que je fais pour moi ? Qu’est-ce qui m’appartient ? Suis-je sportif pour l’entretien de mon esprit et de mon corps ou parce que l’autre me trouvera plus séduisant ? Si j’apprends la musique et le chant est-ce parce que j’aime cet art ou parce que j’admire les gens qui le maîtrisent ? Quand je fais attention à l’autre, est-ce pour me racheter une conscience ? Et maintenant, est-ce que j’écris vraiment pour moi ? Si non, pour quoi ? Cet idéal dont je rêve la nuit ? Cette personne que j’imagine ?
Ce déferlement de questions se superpose aux précédents. Face à l’autre, mon identité se perd, elle s’efface. Pourtant, si je m’adressais à quelqu’un d’extérieur, me connaissant, douterait-il un seul instant pour répondre à la moindre de ces questions ? Alors plutôt que de me plonger dans ces doutes, si je concentrais plutôt mes efforts pour me rappeler ce qui concrètement me définit ? Car oui, je pense que j’ai le droit de m’adapter à autrui, c’est ce que je fais de mieux, c’est ce que j’aime être et c’est ce qui me fait grandir. Je n’ai pas peur de changer d’avis ni de me délester de ce qui me ralentit aujourd’hui et je pense avec confiance que c’est ce que ceux qui m’ont côtoyé sauraient reconnaître. Des erreurs que j’ai commises et que je commettrais encore, des difficultés que j’aurais à traverser, je sais que je trouverais en moi les ressources pour continuer mon périple, à créer des rencontres, à m’en nourrir. Si demain j’apprendrais l’escalade, ce ne sera pas pour plaire à l’autre, ce sera pour me laisser l’occasion de partager plus que des mots, de tester de nouvelles choses, d’évoluer.
Prendre conscience de cette caractéristique est une étape essentielle. Comment me donner les moyens d’enfin l’accepter, de ne plus utiliser cette réflexion pour nourrir mon anxiété ? Le tout est aujourd’hui de ne plus me sentir honteux lorsque je commence à courir dans les traces de ceux qui me précèdent, de ne plus avoir peur de montrer que de cette course le doute s’installe. Si je souhaite suivre ce chemin ce n’est pas pour renier ce qui me définit mais bien pour le nourrir, pour apprendre de l’autre car si je suis convaincu de ce que je sais, je suis aussi convaincu que l’autre apportera les pièces manquantes à mon identité. Pour développer la vie, l’eau a besoin de circuler, apportant les nutriments là où ils pourront être consommés par des organismes qui eux-mêmes deviendront les nutriments de ce cycle. Dans ma quête de sens, dans ma quête de vie, je suivrai cette même logique dans l’espoir d’atteindre mon idéal.